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  • Photo du rédacteurCamille Cordouan

Petit manuel de fayotage à l'attention de ceux qui n’y connaissent rien (c'est à dire tout le monde)

Dernière mise à jour : 26 nov. 2018


Dans la classe, il y en avait toujours au moins un, parfois deux.

La légende veut qu’il soit petit, binoclard, poli, bien habillé, maigrichon, fort en maths, nul en sport. A la récré, il cherche la protection du pion. A la cantine, il est la cible des projectiles-purée. Il sait tout, répond à tout, le doigt toujours pointé au plafond. Le fayot est celui qui inspire aux profs d’inaccessibles rêvasseries « Ah, si j’en avais 30 des comme toi... »


La réalité est plus contrastée.


C’est statistique, entre l’âge de 3 et 8 ans, nous avons tous traversé une phase de fayotage, où, tombés amoureux de notre instit, nous voulions au minimum lui ressembler, dans l’idéal l’épouser.


Qu’il est loin le temps où, au supermarché du coin, on rêvait de tomber nez à nez sur LUI. Gesticulant, pointant cet objet de fascination aux parents gênés, obligés de le saluer: « C’est Nicolas !! C’est mon maître !! C’est mon maître !! C’est lui là ! »


Aux camarades admiratifs et jaloux :

- Eh ben moi, samedi, j’étais au Leclerc du grand rond-point, et j’ai vu le maître qui achetait trois paquets de lessive.

- Il doit puer le maître pour en acheter autant !

- Tais-toi ! T’es qu’un jaloux.



Et puis vient ce jour terrible.


Le costume du fayot est remisé dans le carton au fond du placard, où sommeillent layettes, doudous, jouets incrustés de bave, sandales à boucle pointure 24. On y passe tous, et sans s’en apercevoir.


Tous ?


Non ! Une bande d’irréductibles ne franchira jamais cette grande étape de la vie.

Et une bande concurrente s’apercevra sur le tard que ce si beau costume de fayot, ils ne l’ont jamais porté. Comme il toujours temps de bien faire, ils l’enfileront comme une seconde peau et se lanceront à l’assaut de la vie active.


C’est là que commence la tragédie pour tous ceux qui ont su guérir du fayotage, cette maladie infantile.



Est-on le même fayot à 5 ans, 25, 45 ans ? Comme tous les défauts mignons et adorables des années d’enfance, en grandissant, les traits du fayot s’accusent, crèvent les yeux de tous, sauf :

1) Du chef,

2) Du chef du chef,

3) Du chef du chef du chef


Un fayot devenu grand, c’est un lèche-cul.


Il a toujours le sourire devant son supérieur hiérarchique, lui ouvre la porte, s’efface devant lui, rigole à toutes ses blagues, se bat pour servir son café, créé des zones intimités avec lui :


Le chef :

- On peut dire que lorsque les KPI de l’audit auront été benchmarkés, les KYC du cost control feront grise mine... Et encore, je suis poli !


Le fayot :

- Sans parler des CLC des cost managers qui regretteront le bon vieux temps des inputs à forward... Pardon, sujet qui fâche, pardon.


Et les deux qui rigolent.

Vous, à côté, vous êtes largué.


Alors, vaccinés du fayotage, êtes-vous condamnés à subir cet insupportable numéro de claquette?

Etes-vous condamné à fantasmer les augmentations, plans d’actions gratuites, bonus pour résultats exceptionnels que le fayot aura récoltés à votre détriment ?

NON !

Et voici pourquoi.


Avant tout, n’essayez pas de vous transformer en fayot. Dussiez-vous subir le feu, la torture, votre nature reprendrait inéluctablement le dessus. Souvenez-vous que le fayot ontologique aura toujours 20 longueurs d’avance sur vous.


Votre boss a beau être le dernier des abrutis, il n’en demeure pas moins un être humain normal : il veut se sentir aimé et admiré.

En particulier lorsque ses pairs et supérieurs lui balancent à longueur de temps sa nullité à la figure. Il veut trouver un peu de réconfort auprès de ceux qui font comme s’ils l’avaient choisi, lui et pas un autre, pour les diriger : ses subordonnés.


Le fayot le fera très naturellement. Vous, avec votre tempérament sans compromission n’aurez qu’une envie : l’enfoncer davantage. Grave erreur. Il ne faut pas boxer au-dessus de sa catégorie.


Le scalp d’un chef, c’est comme une Rolex au poignet d’un chômeur de plus de cinquante ans : ça n’existe pas.

L’art de fayoter, c’est donc l’art du juste milieu. Il faut en faire juste de nécessaire, juste ce dont on est capable. Cela nécessite doigté et délicatesse. Quelques petites touches, façon impressionniste. Entrechats dans le monde plombé de l’entreprise.

Ce n’est pas être faux-cul que de pratiquer le fayotage en dilettante. Ca aplanit les relations, tout le monde s’en porte mieux.



On commence d’abord par quelques marques de respect, distillées ici et là au grès des occasions, du type « Toi avec ton expérience, tu as vraiment l’habitude », ou « Ton avis sur le dossier Tartamuche me serait utile », voire « J’ai préféré te mettre en copie du mail pour lui donner plus d’importance ».


Si l’on s’en sent capable, on peut également ajouter des pincées d’admiration. Comme ça, sans crier gare, et de préférence en public. A la machine à café, à la cantine, dans l’ascenseur. Soulignez le trait de caractère principal de votre boss. S’il a de l’humour, rappelez combien il est plaisant de travailler avec quelqu’un qui met une bonne ambiance.

S’il est dans le contrôle perpétuel, précisez que votre boss n’est pas psychorigide, mais aime savoir où il met les pieds, et que c’est une nuance importante. S’il est incapable de prendre une décision, valorisez sa propension à peser le pour et le contre, autre définition du sens critique.

Attention. Ne le faites pas si ça vous écorche la bouche. Ca passera pour de l’ironie. Défaut rédhibitoire en entreprise.


Ces petites pincées de savoir vivre ne vous rendront pas compatible avec votre N+1, mais huileront les rouages de votre coexistence. C’est hisser le drapeau blanc.


Hypocrisie, faux-cul pourront crier certains, ceux qui se prennent baffes sur baffes, mais tendent encore l’autre joue. Vient un temps où il est bon de comprendre que le pouvoir aime les mises en scène, et qu’au passage du cortège royal, existent trois types de réactions :

- L’intransigeant, sur qui roulera le carrosse et la foule juste après

- Le courtisan, qui donnera sa vie pour être tout devant au passage du cortège

- L’observateur, qui regarde la scène sourire en coin, sait faire le pas de côté lorsqu’il le faut


L’art de fayoter, c’est l’art de se préserver, c’est la botte que l’on tire avec élégance. Ni courbettes, ni affront, c’est composer avec ceux qui disposent de vous.

Et si la fortune vous adoube, vous serez le boss à qui on ne la fait pas, jurez-vous, celui qui les renifle, les fayots de compétition. Hélas, vous aurez bien vite le nez complètement bouché.

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