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Photo du rédacteurCamille Cordouan

A celui qui a expédié mon livre sous les roues du RER A

Dernière mise à jour : 25 nov. 2018


Tu dois t’en souvenir. C’était vendredi dernier. Il était 8h45, tu étais à bord du RER A, dans la dernière rame.


Il faisait chaud, tu suais dans ton costume, ton sac t’engourdissait l’épaule.

Lorsque le train est entré en gare de la Défense, ton arrêt, tu as fait comme les autres. Tu as suivi le flot, foncé droit devant. Toi d’abord, le reste on verra après.


Tu es parmi les derniers à descendre. En queue de troupeau, tu piétines. Cela redouble ton impatience. Tu charges. Dans ton élan, tu heurtes des corps, épaule contre épaule, ceux qui sortent comment toi, ceux qui rentrent sans attendre. Ton sac finit le boulot :au grès de tes gestes, il repousse, amortit, selon les cas.


Au moment de te jeter enfin sur le quai, tu sens ton sac percuter un ultime obstacle dans un bruit froissé. Tu te retournes. Tu vois un objet voleter, tourbillonner. Retomber précisément entre le quai et le RER. Tu tends le cou vers ce trou noir, lèves les yeux vers moi.

Je te regarde, mains figées, comme si elles tenaient toujours le livre que tu viens d’expédier sous les roues du train.

Lorsque tu réalises que le livre git sur le ballast, inatteignable, tu te rassures : « Ce n’est qu’un livre, je ne lui ai pas dégommé son smart phone ou ses clés d’appartement. C’est pas si grave ». Certes un livre ne sert pas à téléphoner, prendre des photos, naviguer sur internet, consulter ses notifications Twitter.


Dans un semi-battement de paupière, une expression, étonnement mêlé d’excuse, qui semble dire « Ce n’est pas ma faute ».

Les portes se sont refermées sur moi et mon livre invisible. J’ai fini par mettre les mains dans mes poches. Un peu sonnée par la scène, ton silence, ta lâcheté.

J’attendais les paroles d’usage « Je suis désolé, je n’ai pas fait exprès ». Tu as tourné le dos. Disparu sans rien dire.


Ce livre, je me régalais à le lire.


Ca me rend triste de le savoir à présent déchiqueté, mêlé aux détritus en tous genres, plus triste encore de ne pas pouvoir l’achever.

Voici ce que je te propose : pour réparer ta maladresse, je souhaite que tu me le rachètes.

Pour me contacter, rien de plus simple : retrouvons-nous dans la dernière rame du RER A, un vendredi matin à 8h45, je te reconnaitrai. Ou bien écris-moi à l’adresse lelivreduRER@gmail.com. Je m’appelle Camille.


Ne me tourne pas le dos une seconde fois.



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