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  • Photo du rédacteurCamille Cordouan

Les pleurs en entreprise

Dernière mise à jour : 25 nov. 2018


Parmi les situations embarrassantes que l’on peut rencontrer en entreprise, il y a :

- les sorties de toilettes aux odeurs douteuses,

- les fonds d’écran projetés en réunion où apparait en géant la progéniture de votre collègue qu’il est le seul à trouver craquante,

- les contresens coupables qui trahissent une chute d’attention au moment le moins propice,

- la discussion où vous vous lâchez sur une personne qui s’avère être à deux mètres de vous,

- le mail balance envoyé à la mauvaise personne, celle-là même que vous défoncez par derrière auprès de sa hiérarchie pour toute son incurie

les versions contradictoires d’une situation que vous avez servies à différents interlocuteurs en fonction de ce qui vous arrangeait, et qui vous retombent dessus au moment où ces deux personnes se mettent à discuter,

La liste est longue. Libre à chacun de la compléter.


Une autre situation embarrassante est celle des larmes. Les vôtres, celles de vos collègues.


L’entreprise est le lieu où il ne fait pas bon pleurer. L’étiquette se colle directement sur votre front : fragile, trop sensible, émotif, ne se contrôle pas. Faible : cela résume tout.

Où a-t-on le droit de pleurer aujourd’hui ?


1) Chez soi : choisir son moment.

On peut pleurer devant un film larmoyant, discrétos, parce qu’on a honte de céder à ces sensibleries. Pleurer lors de fêtes de famille, ces événements où inévitablement les yeux rougissent (mariage, baptême, anniversaire, discours,...). Sans oublier les inévitables pleurs de la cousine Berthe, qui chaque année avec sa mère, nous refont le coup de l’embrouille pour des broutilles. Ca finit toujours en drame. Toutes les familles connaissent cela.


2) A la télé : OK.

C’est même valorisé. Mais attention. Seul un type de registre de pleurs est utile : celui de l’émotion et de l’indignation. Pleurer parce qu’une voix tremblotante dans The voice a fait une reprise bouleversante de Toi plus moi : ok. Pleurer parce qu’un camp de migrants a été démantelé : ok. Cela révèle la profondeur de votre âme. Vous êtes célèbre, vous passez à la télé, mais là, au fond de votre poitrine, un petit cœur palpite. Pleurer, pleurer d’épuisement, pleurer d’humiliation, pleurer de déception. Ce sont des pleurs que l’on cache.


3) En entreprise : choisir ses pleurs.

On pleure pour un pot de départ. Disons qu’on écrase une larmouchette. Et c’est souvent sincère. On pleure, en communion. On pleure de reconnaissance. On pleure aussi la perte d’un collègue, d’un grand chef, happé par le destin sans que personne ne l’ait vu venir. Ce sont des pleurs corporate.

En entreprise, il y a les pleurs que l’on cache. Lorsque l’on vous hurle dessus, lorsque vous sentez que vous n’y arriverez pas, lorsque votre vie personnelle empiète sur votre vie professionnelle, et que la muraille de Chine que vous avez érigée entre les deux se fissure.

Qui n’a jamais pleuré dans l’obscurité de son bureau, à double tour dans les toilettes, à grandes enjambées, pour trouver un endroit tranquille, dérobé de tous ?


Certains semblent avoir des yeux toujours humides. Il y a comme un voile de larme qui, par effet d’optique, grossit leur iris. Ceux-là, il suffit d’un mot pour que le voile se déchire, que les pleurs se déversent. Certains tombent des nues. N’avaient rien remarqué du mal être. D’autres avaient vu. Ils jouaient les équilibristes pour ne pas prononcer le mot, créer la situation provoquant la crise publique de tristesse. D’autres encore ne prennent aucune précaution. Ils piétinent et malmènent avec indifférence.


Nous sommes des êtres solitaires dans notre vulnérabilité. Personne ne souhaite être la bête de foire. Etre celui qui a pleuré pour de mauvaises raisons. Entendre : des raisons non acceptables pour l’entreprise. Chaque milieu a ses codes.

Certains ont les yeux tristes, ils sont nés avec. La faute à la génétique, un mal être chronique. N’importe quel milieu, n’importe quelles circonstances, les mêmes yeux tristes.


D’autres ont le regard qui change. Cela se passe de manière imperceptible. On passe à côté d’eux, on partage chaque jour des dossiers, des nouvelles, des dèj. Soudain, un matin, cela nous saisit. On essaie de comprendre ce qui n’est plus pareil dans ces deux yeux là : même irisation, même forme, même longueur de cils, même paupière, même pupille. Et comme un vide. Une obscurité derrière laquelle se cachent les larmes.

« J’ai remarqué que tes yeux avaient changé, tu as l’air complètement déprimé, tu as une mine affreuse. Quelque chose ne va pas ? »

Dans le fond, c’est ce qu’il faudrait dire à celui dont les yeux se ternissent. A garder en dernier recours, au moment de secouer le cocotier. Un peu de diplomatie ne fait pas de mal. Attention et vigilance d’abord, mesurer si cet état s’installe. C’est le temps du qui-vive. Il précède toujours le temps de l’alarme, puis de l’action.


En entreprise comme ailleurs, les signes du mal-être, avant les sanglots, les crises, les arrêts maladie, se décèlent aussi dans la noirceur d’une pupille.


Regardons-nous les yeux dans les yeux.

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