Au team building de printemps.
Jérôme le consultant affiche la 37ème slide de son Power Point Ce que le sport peut apprendre à l’entreprise… et inversement ? :))
Apparaît la photo d’une équipe de rugbymen, en cercle, se tenant les épaules, maillots maculés de boue, visages rougis par l’effort, regards déterminés.
Au-dessus, cette question : « Qu’est-ce que l’esprit d’équipe ? »
Dans l’assemblée, les femmes jettent de gourmands regards aux pectoraux qu’elles devinent sous les maillots moulants, les hommes font la moue, ils auraient préféré une équipe de volleyeuses en short.
Jérôme le consultant, micro veste, mains jointes, l’œil pétillant:
« Alors, messieurs, qu’est ce que cela vous inspire ? »
Dans l’assemblée, les femmes jettent de gourmands regards aux pectoraux qu’elles devinent sous les maillots moulants, les hommes font la moue, ils auraient préféré une équipe de volleyeuses en short.
Jérôme le consultant, micro veste, mains jointes, l’œil pétillant:
« Alors, messieurs, qu’est ce que cela vous inspire ? »
La DRH soupire : « Ah ben le mien, il est pas gaulé comme ça ! »
Rires dans l’assemblée. Le chef intervient pour montrer à Jérôme le consultant ce que signifie « tenir son public ». D’une voix monocorde :
- Je dirais pour ma part que cette photo symbolise parfaitement l’esprit d’équipe : nous voyons des joueurs solidaires, que la force du collectif unit pour la victoire, car rien d’autre ne doit compter. Chaque joueur sait qu’il ne peut rien faire sans son coéquipier, et inversement. Si ce-dernier est débordé, en mauvaise posture, il viendra le soutenir.
Jean-Jacques de la compta, spécialiste de rugby à ses heures :
- En plus le rugby est un sport qui consiste à donner la balle au copain situé derrière, pour qu’il aille devant. Ca veut dire qu’il faut accepter d’être dépassé, pour permettre au copain de marquer, et à l’équipe de gagner.
Le chef approuve d’un signe de tête automatique. Jérôme le consultant invite l’assemblée à applaudir l’intervention de Jean-Jacques :
- Tout à fait ! C’est précisément sur ce « terrain », si vous me permettez l’expression, que je souhaite vous conduire. D’autres remarques ?
Perdue dans la salle, une voix perchée :
- Sport amateur ou sport de haut niveau ?
Le consultant, assertif :
- Vous êtes des professionnels. Vous visez l’excellence. Sportif de haut niveau, évidemment.
Mains jointes :
- L’objectif est de voir comment les pratiques du sport de haut niveau peuvent amener des collaborateurs à former une équipe qui se transcende vers l’atteinte de ses objectifs. Ca fait deux fois « objectifs », mais c’est pour souligner à quel point votre directeur général y tient. N’est-ce pas ?
Le chef :
- Je vous rappelle que nous sommes ici par la volonté de notre comité de direction, qui souhaite que nous réfléchissions à tout ce que le sport de haut niveau peut nous apprendre : performance, résilience, efficience. Que des mots en « ence », de préférence. Nous devons ressortir de cette session avec une liste d’idées. Quelqu’un ?
La voix haut perchée, que personne ne parvient à identifier :
- Moi, j’ai une remarque.
Le consultant, main en visière, ne parvient pas à localiser celle ou celui qui prend la parole. Au moment où il s’apprête à dire « Pouvez-vous vous lever s’il vous plaît, que l’on vous voit bien ? Gisèle, apportez un micro à ces messieurs dames. » :
- Le sport de haut niveau c’est d’abord l’élimination des mauvais. Puis des faibles mentaux. Bref, c’est totalitaire.
Jérôme le consultant, bienveillant :
- Comme vous y allez ! Non, il s’agit simplement d’explorer ce que le sport de haut niveau peut apporter à votre boîte. C’est plus clair pour vous maintenant ? Vous pouvez vous lever pour que je vous voie ?
- Là, je suis au premier rang, sous votre nez.
On comprend, ébahi, que le justicier anonyme c’est Josiane du service clients.
- C’est la compétition permanente, quoi. Métaphore de l’ultralibéralisme.
Le chef reprend la main :
- Josiane, fermez-là, on connaît le refrain.
Le consultant à renforts de grands gestes :
- Non, non ! Nous sommes dans un management bienveillant, tout le monde peut s’exprimer !
Josiane n’en demande pas tant :
- Je développe : c’est la compétition permanente, effrénée, entre chaque joueur pour un seul et même poste. Et les entraîneurs encouragent cette concurrence. Sur le terrain il n’y a pas six attaquants, ou huit talonneurs. C’est le meilleur qui sera titulaire.
Ca murmure sévère dans la salle. Chacun commente pour son voisin les propos de Josiane. La DRH se demande si Josiane est syndiquée, ou en passe de l’être.
Jérôme sent que la situation est de nouveau sous contrôle :
- Mais c’est une très bonne chose que le meilleur soit titulaire ! Transposé à l’entreprise, cela signifie qu’on choisit le meilleur pour un poste. Les autres, vous en pensez quoi ?
Jean-Jacques retourne sa veste :
- Moi j’ai été talonneur. Une année, mon père avait de sérieux soucis de santé, j’étais préoccupé, moins bon sur le terrain. J’ai ciré le banc.
- Très intéressant ça Jean-Jacques ! Et donc vous avez donné le meilleur de vous-même pour redevenir le titulaire indiscutable que vous étiez ?
- Oui j’ai essayé, mais je me sentais honteux que mon niveau plus faible soit étalé à la face du monde entier… même si l’équipe jouait en division régionale. A l’entraînement, j’ai mis les bouchées triples. J’arrivais avant. Je repartais après.
Jérôme le consultant, proche du triomphe :
- Et donc Jean-Jacques ? Vous êtes revenu plus fort ?
- Non, je me suis blessé. Je n’ai pas écouté mon corps, mon tendon d’Achille a pété.
Dans la salle, ceux qui savent à quel point une rupture du tendon d’Achille est douloureuse étouffent de petits cris.
- Merci Jean-Jacques. Votre exemple illustre parfaitement la slide 58 de mon Power Point. On brûle un peu les étapes, mais vous êtes un groupe rapide !
Jérôme le consultant fait défiler la vingtaine de slides en agrémentant chacune d’elle par « Non c’est pas celle-là, non c’est pas celle-là, non c’est pas celle-là », jusqu’au « Nous y voilà ! ».
A l’écran, la photo d’une montagne enneigée, le temps est incertain, un groupe de randonneurs encordés semble progresser difficilement sur l’arête du versant qui conduit au sommet. Et cette assertion: La force du collectif pour repousser ses limites.
- Et là, ça vous inspire quoi ?
Le chef qui boudait dans son coin depuis quelques minutes :
- Ca me semble évident : si Jean-Jacques s’était appuyé sur ses coéquipiers, il aurait été All Black.
Le consultant, livide :
- Mais… mais non, vous savez bien… on l’a dit en répétition tout à l’heure… c’est en relation avec le passage à vide, savoir s’appuyer sur les autres pour atteindre les sommets…
Josiane :
- J’en connais qui auraient plutôt coupé la corde…
Le mauvais esprit de Josiane inquiète la DRH : mais qui se cache derrière la Josiane qu’elle croyait connaître, la Josiane docile des tableaux Excel à 56 colonnes ?
Jérôme le consultant sue sang et eau en faisant défiler sa présentation jusqu’à la slide 78.
On voit un footballeur dans les airs, en plein retourné acrobatique :
- Bon, et lui, tout le monde le connaît, pas vrai ? Vous connaissez son destin : déclaré trop petit pour jouer, à force d’abnégation, il finit par s’imposer, jusqu’à être sélectionné en équipe nationale !
Jean-Jacques fait la moue :
- Il ne faut pas oublier quand même qu’il a été obligé de quitter son club de cœur parce qu’il ne convenait plus au projet et qu’il était considéré comme trop vieux. Lui qui a porté si haut les couleurs du club, il a été écarté du jour au lendemain.
La voix du consultant se brise :
- Mais il a su admirablement rebondir !
- Il a fallu que son agent lui trouve fissa un point de chute ! Et hop, avec femme et enfants sous le bras, en Chine !
Dans l’assemblée, des grappes de conciliabules :
- Et il avait quel âge ?
- 31 ans…
- Trop vieux à 31 ans ?
Le chef jette un coup d’œil à sa montre tandis que Jérôme le consultant essaie de retrouver la slide de la patineuse artistique qui fait une chute :
« Bien, cette session team building Ce que le sport peut apporter à l’entreprise… et inversement ? :)) touche à sa fin. Un grand merci à notre consultant Jérôme pour l’animation. Si je devais récapituler, je retiendrais ceci :
1. Le sport de haut niveau est l’élimination des faibles physiques et mentaux à cause de la compétition exacerbée
2. Le sportif de haut niveau est une ressource que l’on trimballe de club en club et dont on se débarrasse lorsqu’il devient trop vieux
3. Le sportif de haut niveau peut plier bagage du jour au lendemain
4. Sans oublier le plus important : Jean-Jacques a joué au rugby, mais comme son papa a été malade, il a fini remplaçant avant de se péter le tendon d’Achille
Jérôme, vous me dites si j’oublie quelque chose ? Merci à tous, je pense que notre comité de direction a tous les éléments nécessaires pour établir une nouvelle stratégie d’entreprise… qui comme d’habitude ne dépendra pas de nous… Alors ne nous fatiguons pas, et je peux déjà vous annoncer le thème du prochain team building de printemps : Si vous étiez un super héros, ce serait lequel ? »
Stupéfaction dans l’assemblée : comment le chef peut-il déjà savoir ?
Il conclut :
« Non Josiane, je n’ai pas de boule de cristal. Mais c’est le thème que la boîte de Jérôme a proposé à nos concurrents cette année. Ce sera donc pour nous l’année prochaine ».
Camille Cordouan
mai 2018
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